Il est donc évident que la surdité congénitale est une pathologie extrêmement complexe et variée qui affecte tous les aspects du fonctionnement quotidien d'une personne. En particulier, la communication, la mobilité et la capacité d'accès aux informations sont gravement affectées. Un lien a été constaté entre la surdicécité et les troubles du développement cognitifs : comme toutes les informations sont perçues par fragments, il faut beaucoup d'efforts et de temps pour les interpréter, et les processus d'apprentissage se déroulent plus lentement. Inversement, les situations de handicaps cognitifs entravent l'interprétation des informations sensorielles (Damen & Worm, 2013).
Saskia Damen et Mijkje Worm (2013) décrivent les principaux domaines de fonctionnement des personnes atteintes de surdicécité congénitale et proposent certaines pistes de recommandations, présentées ci-dessous, pour leur accompagnement
Le bien-être physique
Le corps est une source d'information importante pour les personnes atteintes de surdicécité congénitale. Lorsqu'une personne se sent bien, les activités et les tâches se déroulent relativement facilement. En prêtant attention aux besoins fondamentaux de la personne, en lui offrant la bonne quantité de stimulations adaptée à son état physique et psychique et en favorisant le rythme circadien, on crée des conditions propices à la réussite des activités.
Les personnes atteintes de surdicécité expriment souvent l'inconfort physique ou la douleur par des signaux difficiles à comprendre. Cela peut également se traduire par une automutilation et/ou une augmentation de l'autostimulation. En cas de changement de comportement d'une personne, il convient toujours d'examiner son bien-être physique.
Stimuli et traitement de l'information
Une des difficultés des personnes atteintes de surdicécité est celle de la perception fragmentaire. Si une personne a une vision ou une audition partielle, elle ne reçoit que de petits fragments d'information auditive. La transformation de ces fragments en un ensemble significatif constitue un grand défi. Les fragments d'information reçus par les différents sens peuvent être confondants ou donner une impression incorrecte d'une situation. La personne a besoin d'un temps de traitement de l’information supplémentaire. Si elle est perturbée pendant qu'elle réfléchit et/ou qu'elle traite l'information, il est facile de perdre complètement le fil et de réagir de manière inappropriée.
Le toucher est un sens important pour les personnes qui ne peuvent pas ou peu utiliser leurs audition et vision. Le toucher peut fournir beaucoup d'informations, mais il ne peut pas compenser entièrement les sens de perception à distance que sont la vue et l'ouïe. Le toucher ne permet pas de se faire une idée complète de l'environnement, des personnes et des objets qui s'y trouvent. Les personnes atteintes de surdicécité doivent toujours se faire une idée de l'ensemble à partir de détails. Cela complexifie la compréhension des situations et prend beaucoup plus de temps.
Les personnes atteintes de surdicécité qui ont une audition et une vision résiduelles ont également besoin de plus de temps pour obtenir une représentation mentale d'un objet ou d'une situation. Le développement de stratégies d’exploration multisensorielle (en touchant, écoutant, goûtant…) permet d’initier des représentations mentales plus riches du monde.
Au-delà du toucher, l'odorat et les informations provenant des systèmes proprioceptif et vestibulaire sont également utilisés pour recueillir des informations sur des situations. L'expérience particulière de ces sens peut expliquer les réactions et les comportements spécifiques des enfants atteints de surdicécité congénitale. Ils peuvent être hypersensibles à certaines odeurs, goûts ou textures et les éviter, tandis qu'ils peuvent rechercher activement d’autres sensations, par exemple en retirant leurs vêtements ou en marchant pieds nus.
Comme les personnes atteintes de surdicécité congénitale sont dépendantes des sensations de toucher corporel pour recueillir des expériences, le risque de sous-stimulation est important. Cela les conduit à s'autostimuler, ce qui rend plus difficile l'établissement d'un contact avec les autres. L’entourage d’une personne atteinte de surdicécité peut l’attirer dans le monde qui l'entoure en lui faisant découvrir ce monde de manière ordonnée et compréhensible. La proximité physique et la disponibilité sont des conditions importantes à cet égard, de même que le temps nécessaire pour percevoir, traiter, comprendre et mémoriser l'expérience. En expliquant calmement la situation, on peut aider la personne sourdaveugle à traiter l'information. La communication et l'exploration d'objets doivent de préférence se faire en utilisant la méthode de « la main sous la main », dans laquelle un partenaire de communication ressent ce que l'autre dit et fait. La personne sourdaveugle est libre de retirer ses mains posées au-dessus de celle de son partenaire.
Interaction et communication
La recherche sur les jeunes enfants atteints de surdicécité a montré que les problèmes de communication ne sont pas seulement le résultat de moyens de communication inadaptés. Dès la naissance, ces enfants n’établissent pas de contact interpersonnel, ce qui influence par la suite l’ensemble de leur développement. Chaque enfant, en temps ordinaire, construit sa base de sécurité à partir de ses relations sociales. Le fonctionnement socio-émotionnel d'une personne en dépend fortement. Si la base de sécurité est insuffisante, la personne peut se retirer, rejeter tout contact et/ou sembler angoissée. La construction d'une base de sécurité se fait souvent naturellement au cours du développement de l'enfant. La situation est différente pour les personnes atteintes de surdicécité congénitale, pour lesquelles il est souvent évident que la base de sécurité est inadaptée. Il existe des programmes d'intervention spéciaux pour améliorer les relations des personnes atteintes de surdicécité, même pour les adultes.
L'impact de la surdicécité congénitale sur les interactions sociales est toujours très important. Cela peut signifier que les personnes atteintes de surdicécité congénitale n'apprennent pas à faire la distinction entre elles-mêmes et les autres, ou qu'elles considèrent les autres comme un prolongement d'elles-mêmes. Ainsi ils peuvent interagir brusquement ou d’une façon qui peut sembler inappropriée avec autrui.
De nombreuses personnes atteintes de surdicécité congénitale ont également des difficultés à communiquer leurs intentions ou à comprendre celles des autres. En réponse à la difficulté de communiquer leurs volontés, à l'influence limitée sur leur environnement ou à la perte de vue d'ensemble, ces personnes peuvent présenter des problèmes de comportement sous la forme d'autostimulation et d'automutilation.
Par conséquent, il est souvent difficile pour les voyants et les entendants de reconnaître les tentatives de contact des personnes atteintes de surdicécité et de les interpréter correctement. Si les partenaires sociaux ne réagissent pas de manière appropriée aux tentatives de contact d'une personne atteinte de surdicécité congénitale, cette dernière peut réagir en rejetant ou en rompant la relation.
Les personnes atteintes de surdicécité qui apprennent à se faire comprendre par leur comportement et leurs émotions éprouvent souvent des difficultés à apprendre à communiquer sur les sujets variés de la vie. Elles continuent à communiquer sur ce qui est perceptible ici et maintenant. Ils ont besoin d'aides pour pouvoir communiquer sur des éléments absents de l'environnement immédiat. Des symboles, tels qu'un signe spécifique ou un objet de référence leur sont nécessaires. Afin d’utiliser ces symboles, ils doivent développer une compréhension symbolique, c'est-à-dire comprendre que les symboles renvoient à un élément du monde réel. De nombreux enfants atteints de surdicécité congénitale ne développent pas la compréhension symbolique. Il existe différents moyens d'améliorer leurs possibilités d'interaction et de communication. Les interactions et l'environnement doivent être adaptés aux capacités perceptives et aux besoins d'une personne atteinte de surdicécité congénitale. Une évaluation de la communication adaptée aux besoins de l’enfant, peut permettre de déterminer son niveau de communication et sa capacité d'apprentissage.
Des stratégies plus récentes pour soutenir le développement des enfants atteints de surdicécité se concentrent sur l'amélioration de l'implication affective et de la réciprocité dans le contact entre ces enfants et leurs partenaires de communication. De nombreuses solutions techniques de communication sont également disponibles pour les personnes atteintes de surdicécité ; le choix de la solution dépend fortement des capacités de la personne atteinte de surdicécité congénitale. Il ne s'agit pas seulement de la mesure dans laquelle la personne peut entendre, voir, sentir ou ressentir, mais aussi de son niveau de communication. En général, plus le niveau de communication est faible, plus les moyens de communication doivent être iconiques (Damen & Worm, 2013).
Acquisition de connaissances et de compétences
Si vous voulez aider une personne atteinte de surdicécité à acquérir des connaissances et des compétences, vous devez d'abord optimiser le contact entre cette personne et son environnement social. Il faut un effort exceptionnel de la part de toutes les personnes impliquées dans la vie d'une personne atteinte de surdicécité congénitale pour lui offrir des possibilités optimales de s'exprimer. Deuxièmement, une personne atteinte de surdicécité doit être impliquée autant que possible dans la conduite d'une tâche ou d'une activité, et sa participation doit être valorisée (créer des expériences de réussite). Enfin, les nouvelles connaissances doivent s'appuyer sur les connaissances antérieures. Les bonnes façons d'enseigner à une personne atteinte de surdicécité congénitale une certaine action ou activité sont l'enchaînement à rebours (en débutant par la dernière étape d’une tâche à accomplir) et l'apprentissage sans erreur. Cette dernière approche permet de réduire le risque que l’action incorrecte soit mémorisée à la place de celle souhaitée.
Certaines personnes atteintes de surdicécité ne parviennent pas à apprendre par imitation, en faisant les choses ensemble puis en les faisant seules, même en apprenant par étapes et en prenant le temps pour chaque étape, comme dans l'exemple ci-dessus de l'enchaînement à rebours. Il peut y avoir des barrières à la pratique de l'activité, telles que des problèmes de motricité ou de mémoire. Il est important de ne pas abandonner tout de suite, mais de chercher d'abord des moyens d'adapter l'activité.
Orientation et mobilité
De nombreuses personnes atteintes de surdicécité congénitale ont des difficultés à s'orienter. Elles n'ont ni la vue ni l'ouïe pour les inciter à expérimenter leur environnement. Elles ont donc tendance à prendre peu d'initiatives pour se déplacer ou explorer. Comme les personnes aveugles, elles peuvent être anxieuses à l'idée d'entrer seules dans un espace ou de perdre le contact avec le lieu sûr où elles se trouvent. Les autres doivent leur montrer la valeur ajoutée potentiellement inhérente au déplacement. La mobilité offre des possibilités d'activités, une indépendance dans les activités quotidiennes ou la capacité d'informer les autres de leurs souhaits et de leurs besoins.
Les personnes atteintes de surdicécité congénitale perçoivent l'environnement par fragments. Il leur est difficile de comprendre les liens qui existent au sein de celui-ci. Si elles y parviennent, l'effort demande beaucoup de temps et d'énergie. C'est pourquoi il est important de veiller à ce que le cadre de vie soit aussi ordonné que possible. Les personnes sourdaveugles ont besoin d'être guidées, d'un environnement familier et d'itinéraires fixes, de points de reconnaissance et d'aides à la mobilité, ainsi que d'une instruction spécialisée en mobilité. Celles qui osent se déplacer et qui peuvent s'orienter elles-mêmes peuvent être facilement perturbées par un événement inattendu. C'est pourquoi elles ont également besoin de professionnels disponibles qui puissent les aider en cas de besoin.
Autonomie
Selon Rorije et al. (Rorije et al., 2023), les personnes atteintes de surdicécité congénitale peuvent faire preuve d'autonomie au niveau de l'exploration de leur corps et de leur environnement proche. Elles peuvent également apprendre à faire des choix s'ils leur sont proposés. Elles peuvent développer la capacité de manifester leurs besoins et leurs envies lorsqu'il s'agit d'objets (par exemple choisir un jouet parmi deux), de personnes ou d'activités concrètes (en réagissant émotionnellement), mais elles rencontrent des difficultés à comprendre qu'elles ont la possibilité de communiquer leurs sentiments et leurs opinions. Elles peuvent montrer leur conscience des autres en partageant des émotions et en donnant leur tour lors d’une interaction duelle (en répétant une action simple après celle de son partenaire de communication ou en souriant si le partenaire réitère l’action initiée par l’enfant). Toutefois leur intersubjectivité reste limitée en raison des difficultés à se distinguer des autres, des objets mais aussi à différencier es significations et les objets. Par exemple un enfant sourdaveugle congénital aura du mal à distinguer l’objet cuillère de sa représentation symbolique du repas.
Pour développer ces premiers stades d'autonomie chez les enfants atteints de surdicécité (faire de choix, des demandes…), leur entourage doit être d'un grand soutien et assurer la sécurité et la prévisibilité, répondre aux signaux de l'enfant, donner du temps pour l'exploration, offrir des choix, partager les émotions, donner son tour dans les interactions, provoquer l'exploration et la résolution de problèmes, encourager les initiatives et les actions indépendantes de lui, favoriser les interactions avec les autres (Rorije et al., 2023).